• A la fin du repas, mon fils cadet commence, en lançant à ma femme un regard complice, à raconter comment était la vie avant que mon fils aîné arrive. Ma femme fait semblant de se souvenir, confirme ses dires, répond par l’affirmative à ses questions tandis que son grand frère le laisse faire et écoute même, un brin amusé, ses affabulations.

     

    Une fois qu’il a terminé, mon fils aîné raconte à son tour, sur un ton plus sérieux, ses souvenirs d’enfance. Comment était la vie avant d’avoir un petit frère. Puis ce qu’elle est devenue après. Il commence par des choses gaies puis évoque tout à coup l’impression étrange de ne plus être aimé de la même façon. De sentir qu’on n’avait plus de temps pour jouer avec lui.

     

    Ma femme parvient, par quelques questions simples et pertinentes, à lui faire mettre des mots sur ce qu’il a ressenti : « j’étais plus le petit et du coup j’avais l’impression que vous aviez oublié qui j’étais. C’est ça que j’aime pas dans grandir, je deviens trop lourd, trop grand et vous pouvez plus me porter. C’est nul d’être grand. »

     

    D’autant plus nul, en effet, que ça ne préserve même pas les parents de la naïveté de penser que, parce qu’on ne manifeste aucun signe de jalousie, tout va bien. Ni même du sentiment, à 10 comme à 40 ou 70 ans, d’être toujours et avant tout le « petit » de ses parents.


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  • 31 août. Après avoir passé 10 jours à Budapest, il est temps de rentrer. Nous quittons le Danube, pas celui des ponts, des illuminations et des touristes, le Danube sauvage, qui longe des chemins de sable et des bois, le Danube de l’île de Csepel, le Danube du 21ème arrondissement de Budapest, celui des pauvres. Le séjour a été en tout point agréable et suffisamment long pour que nous soyons contents de rentrer.

     

     

    Pourtant, dans la voiture, au moment de partir, lorsque je regarde mes enfants se retourner une dernière fois pour dire au revoir à leur grand-mère et à leur tante, je me sens tout à coup inexplicablement vulnérable. Mes enfants ne sont pas tristes, je les entends même rire et le moment est beau.

     

     

    Mais il ressemble trop aux adieux de mon enfance, lorsque nous laissions ma grand-mère seule et que ma sœur pleurait dans la voiture, pour me laisser insensible. Le moment est beau mais je sais trop bien que le temps l’aura bientôt transformé en une carte postale que l’on rangera derrière celles des années précédentes, en attendant les prochains souvenirs.

     

    Ma grand-mère, elle, va bientôt avoir quatre-vingt onze ans. Et elle ne se souvient plus de rien. 


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