• La vie en bandoulière

     

    Plus je vieillis plus j'ai l'impression de voir à l'œil nu les fêlures des gens. Lorsque je prends le métro, cette sensation devient presque palpable. Je crois même parfois deviner quelles souffrances chacun traîne dans ses bagages.

     

    Elles se ressemblent étrangement. Pourtant pas un ne les porte de la même manière. Celui-ci les a reléguées dans son dos, pour ne plus les avoir constamment sous les yeux, à l'intérieur d'un sac presque carré qui lui donne l'illusion que tout est bien rangé et que ses mauvais souvenirs resteront sagement à leur place sans jamais prendre la liberté de faire irruption dans sa vie au mauvais moment.

     

    Un autre a tout mis dans un grand sac de sport qu'il pose négligemment sur le sol pour éviter tout contact avec ces blessures habillées d'une apparence de loisir.

     

    Cette femme semble avoir pris le plus petit sac à main qui existât. Elle a l'air de dire  : « Tout est là. C'est peu de chose en somme » et espère sans doute que cette épreuve qui l'a marquée à vie ne prendra plus jamais cette place jusque-là si envahissante.

     

    L'homme qui vient de rentrer a un sac dans le dos, un autre sur le bras et une petite valise qu'il fait rouler sur le côté et dont il plie et déplie le bras au bon moment, tout en la plaçant parfaitement, à l'endroit qui convient le mieux et où elle prendra le moins de place. Il a choisi de tout compartimenter pour compenser le chaos de sa vie. La guérison par l'organisation. Pour oublier à quel point il ne maîtrise plus rien, et comment il a perdu jusqu'au contrôle de ses rêves.

     

    Leur regard pourtant ne trompe pas. Et leur cœur leur rappelle qu'eux-mêmes ne sont pas dupes. Mais il faut bien « faire société ».

     

    Quant à cet autre, il n'a rien, mais c'est un leurre. Il est aussi libre de ses mouvements que son âme semble engoncée dans les méandres de sa pensée, prisonnière de la foi perdue, encore traumatisée de tout ce qu'elle a vu trop tôt.

     

    Mais il a le courage de ne plus rien prétendre, de nous offrir sa souffrance brute et sans fard. Comme un encouragement à ne plus feindre. Comme son seul gage d'humanité.


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