• En tant que parent, les vacances d'été ne sont pas pour moi, loin s'en faut, uniquement synonymes de repos et de divertissement. Mais il y a au moins une chose que j'apprécie par-dessus tout : c'est l'absence d'anticipation qui rend les instants les plus banals exceptionnels. N'ayant rien d'absolument urgent à faire, je peux enfin vivre les moments pour ce qu'ils sont, comme du présent renouvelé plutôt que du futur trop vite devenu du passé. Regarder mes garçons sauter dans l'eau ou ma fille s'essayer au tricycle sans penser à la suite, à la douche, au repas, au coucher. A tout ce qu'il y a, à tout ce qu'il y aura toujours à faire.

     

    Rien ne presse. Tout a, enfin, la même valeur, le travail n'exerce plus son envahissante tyrannie et je peux m'abandonner à la rêverie, à la contemplation des paysages, prendre le temps d'observer la beauté qui m'entoure. Ecouter la musique de la mer et me demander avec le poète :

    « Quel démon a doté la mer, rauque chanteuse,

    Qu'accompagne l'immense orgue des vents grondeurs,

    De cette fonction sublime de berceuse ?

    La mer, la vaste mer, console nos labeurs ! ».

     

    Mais cela ne dure pas et je suis vite saisi d'accès de nostalgie d'autant plus violents qu'ils sont aussi inattendus qu'incongrus. J'ai trop d'expérience pour ne pas savoir comment se terminent toutes les vacances.

     

     


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  • J'aime observer les gens dans le métro. J'aime tenter de résister au pouvoir d'indifférence que tous ces visages inconnus exercent sur moi. J'aime les observer longuement pour les rendre moins anonymes, pour tenter de leur inventer une histoire, pour percer à jour les fêlures de leur regard. J'aime me souvenir qu'ils ne sont pas nés avec cette résignation qui transpire par tous leurs pores, qu'elle n'est que la conséquence d'un choc quotidien de leurs rêves contre les parois de la réalité, qu'ils sont tous des ex-enfants rêvant de devenir grands et qui prennent conscience d'être coincés quelque part entre leur néant antérieur et leur mort à venir.

    Je veux réussir à les aimer avant le terminus, je prie pour eux, je veux croire qu'il y a quelque chose de grand à faire de notre humanité.

     

    Puis un individu monte à la station suivante en mettant à plein volume sur son portable une chanson de Jul. Fin de l'histoire.

     

     


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  • La façon dont j'aime ma fille est parfois empreinte, comme c'était le cas pour mes deux garçons, d'une certaine tristesse. Mais elle n'est pas de même nature et n'a pas les mêmes causes. Elle ne tient plus à la fugacité de cette exclusivité que j'ai fini par apprivoiser mais à la quasi-certitude qu'aucun homme ne pourra jamais l'aimer comme je l'aime, d'une façon aussi désintéressée.

     

    Qu'on puisse l'aimer aussi passionnément, c'est sans doute possible bien que difficilement concevable. Mais qui pourra jamais respirer le parfum de ses cheveux sans le désir de la posséder ? Qui saura l'écouter avec autant d'avidité ? Quel œil pourra contempler sa beauté avec un émerveillement constamment renouvelé ?

     

    J'ai parfois l'impression, en l'aimant ainsi, de lui construire une désillusion, de confronter sa future adolescence à une « promesse de l'aube » non tenue. Et je crains que l'amour qu'elle diffuse partout autour d'elle soit parfois plus vivant dans ses peluches inanimées que dans le monde qui nous entoure.

     

     


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  • On ne s'était rien promis, on ne s'était pas dit rendez-vous dans dix ans. Ceux qui étaient là avaient simplement envie de rester fidèles à ce qu'ils ont été, de ne pas se renier, de ne pas briser le fragile fil qui les relie à leur vie d'avant. Des résistants à la résignation, celle qui nous fait croire que rien n'a de sens, que notre présence ne changera rien, que tout se vaut. Nous n'avons pas refait le monde, nous ne sommes plus si naïfs, mais nous avons refait notre monde, en lui redonnant, l'espace d'une soirée, des couleurs plus vives, en le remplissant du bruit de nos retrouvailles, en nous racontant parfois ce que nous savions déjà, juste pour le plaisir de la complicité.

     

    J'ai savouré chaque instant, j'ai scruté, mi-ému, mi-étonné, ces ex-adolescents désormais si mûrs, ces anciens inconnus sur qui la Providence m'a demandé de veiller avec un soin particulier, ces enfants que j'aurai eus avec le destin. Dehors, l'équivalent d'un mois de pluie qui s'abattait dans les rues de Paris semblait vouloir cacher aux non initiés ce qui se jouait à l'intérieur : une vingtaine d'anciens élèves et leur professeur communiant dans la volonté de faire revivre le passé et de lui donner une place dans le présent.

     

    J'ai fait tout mon possible pour suspendre le temps mais s'il s'est parfois laissé faire, c'était pour mieux me faire payer l'addition en retombant sur le sol. Qu'importe, il a vite mis fin à ce moment mais il ne pourra rien contre notre envie de le ressusciter.

     

     


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  • Hier soir, vers 23 heures, mon fils aîné est descendu en larmes. Il venait de rêver que sa petite sœur était morte et que pour en garder le souvenir, il écoutait en pleurant « Endors-toi petit ange », une comptine qu'il écoutait lui-même lorsqu'il était plus jeune. J'ai repensé à cet amour fébrile de grand-frère, à ces cauchemars horribles que j'ai pu faire au sujet de mon petit-frère, de quatre ans mon cadet, notamment celui où les voisins sonnaient à notre porte l'air abattu pour nous présenter sa dépouille recouverte d'un lange.

     

    J'ai repensé aux angoisses que je pouvais ressentir avant de m'endormir en me remémorant la noyade à laquelle il avait échappé. J'ai repensé aux paroles de cette chanson de Michel Berger qui, pour reprendre les mots de Hugo, "me parlent de moi" à chaque fois que je l'écoute : « Pour me comprendre, il faudrait savoir le décor, De mon enfance, le souffle de mon frère qui dort ». J'ai tenté d'expliquer à mon fils à quel point c'était beau d'aimer sa sœur comme ça. La chance que c'est d'avoir suffisamment d'écart avec elle pour profiter pleinement des différentes phases de son enfance. Je lui ai raconté la joie que c'était également pour moi de revenir du collège et de me souvenir sur le pas de la porte que ma petite sœur de 12 ans de moins que moi m'attendait à la maison.

     

    Mais je ne lui ai rien dit de la douleur que c'est de voir grandir et vieillir chaque jour ceux qu'on aime avec la certitude de la séparation. Et je ne lui ai pas lu non plus les mots de Pagnol que j'ai découverts à son âge dans Le Château de ma mère : « Telle est la vie des hommes. Quelques joies, très vite effacées par d'inoubliables chagrins ». Il n'est pas nécessaire de le dire aux enfants ».

     

     

    .Il aura tout le temps de s'en apercevoir.


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