• Mon cœur en chantier

     

    Depuis quelques mois, il m'arrive fréquemment de revenir dans mon ancien appartement pour y faire des travaux. Mais ces derniers temps, c'est de plus en plus dur de m'y mettre. Ce n'est pas le travail en soi-essentiellement de la peinture- , somme toute agréable mais c'est plutôt la conscience du temps gaspillé pour un appartement qui n'est déjà plus le mien depuis longtemps.

    Je ne peins pas pour améliorer le quotidien de ma famille mais juste pour le vendre. Certes, cette vente changerait, à terme, beaucoup de choses sur le plan économique mais ce manque de perspective immédiate me freine.

    Il n'est pas sûr que l'on trouve un acheteur : il faudra alors le louer de nouveau puis recommencer les travaux dans le même état d'esprit. J'exécute ces travaux à contrecœur, comme un châtiment, comme un salaire versé à l'absurdité de la vie.

    Pourtant, aujourd'hui, lorsque j'enlève les initiales des prénoms de mes enfants du mur de leur ancienne chambre, l'émotion et les souvenirs m'envahissent. Je me rends compte que c'est sur ce parquet qu'ils ont fait leurs premiers pas, que ce sont ces murs qui ont renvoyé l'écho de leurs premiers sons, que ce sont les arbres de cette résidence qu ont abrité nos premières parties de foot. Que cette frise violette dont j'arrache patiemment les morceaux est la dernière trace de leur passage dans cette chambre. Que cette peinture blanche est en réalité une couche de neutralité dont j'essaye tant bien que mal de recouvrir les murs.

    Mais plus je cache notre présence sous cette peinture, plus elle réapparaît sous la forme d'un souvenir. Je revois mon fils aîné apprendre à faire du vélo dans le square suivi comme son ombre par son frère sur la moto. Je nous revois descendre le toboggan ensemble avant de courir vers le tourniquet. Je revois ma femme faire les cent pas dans la résidence pour accélérer la venue du deuxième. Et je ne peux m'empêcher de penser que les futurs habitants de notre ancien paradis ne sauront rien de tout ça. Est-il possible que le bruit de nos souvenirs ne monte jamais jusqu'à eux ? Comment pourront-ils se sentir chez eux alors qu'ils dormiront dans nos chambres et se laveront dans notre baignoire ?

     

    J'ai vécu toute cette journée dans la douce nostalgie de ces cinq années d'existence. Rien que pour cela, je suis heureux de ne pas l'avoir vendu plus tôt.


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